Vier und siebzig (74)

Etant enfant, en visite chez ma tante dans un canton germanophone, je suis allé assister à l’office religieux. A la fin de la messe, compatissant, je contemplais le vain courage de ces gens qui priaient avec tant de ferveur. Dieu ne pouvait pas les comprendre mieux que moi, il ne parle pas allemand !

Pour l’enfant que j’étais, il n’y avait qu’une seule langue vrai. Toutes les autres n’étaient que des effets stylistiques destinés à se distinguer. Mais le sens des mots et des paroles n’étaient découverts que dans la langue de base, la mienne et celle de Dieu, je vous l’accorde. Ainsi je comprenais que l’on puisse se donner un genre en public, mais au moment de parler à Dieu, ces artifices n’avaient plus de raison d’être. Si ces gens ne pouvaient s’en défaire, alors ils se privaient de l’intimité Divine.

Voilà pour le point de vue.

Plus tard, j’ai aussi appris l’allemand, et même tenté une ou deux autres langues. Ce qui me frappe, et une des difficultés pour les francophones de l’allemand, c’est la façon d’exprimer les chiffres. On dit ainsi vier und siebzig pour septante-quatre. Beaucoup ont énormément de peine avec le renversement du sens de lecture. 1974 se dit et se lit dans le sens de la lecture, de gauche à droite en français, mais en allemand, on a le millier, les centaines, l’unité et les dizaines. C’est une atteinte à la cohérence. Quand on sait que l’on dit en parlant de date: neunzehn hundert vier und siebzig soit neundix cent quatre septante, on aperçoit comme une danse: un pas en arrière, deux en avant et on recommence.

Dans cette comparaison, c’est la version suisse (peut-être canadienne, certainement belge) et non française de 74 qui est utilisée. La version française, soixante-quatorze, donne une toute autre signification à cohérence, bien sûr.

Que dire des langues qui s’écrivent de droite à gauche, de haut en bas? Est-il raisonnable de penser que les langues sont des élaborations différentes des expressions des mêmes réalités? Si tous les humains de la terre voyaient, sentaient, comprenaient, imaginaient les mêmes choses, pourquoi cette profusion de languages?

Ne serait-il pas plus probable que le language se développe à partir du besoin de communiquer une perception de la réalité. Que si des languages si différents existent, c’est parce que les réalités quotidiennes des peuples sont différentes?

Lorsqu’on fait l’effort d’apprendre une autre langue, on découvre souvent un autre aspect de la vie. L’expression allemande est plus factuelle que la française, qui elle est plus émotionnelle. En apprenant cette langue, le cerveau découvre une autre façon de voir la réalité, une autre personnalité. On s’enrichit. Mais on perd une certaine certitude, l’absolu s’en va, c’est la relativité qui naît. Peut-être que l’enfant d’alors s’éloigne de Dieu.

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